On pourrait croire que c'est une devinette, il arrive parfois des mésaventures
à répétitions telles celles qui sont arrivées
à celui que l'on appelait " Le grand captain".
Il se nommait en fait Fernand B…..
Il naviguait à bord du Notre Dame de Montligeon, il n'était
pas capitaine du tout mais à le voir se pavaner en ville lors
de ses séjours à terre, on aurait pu le croire comme tel.
Casquette d'officier à étage avec parements brodés,
complet veston bleu marine, chaussures noires, brillantes, luisantes
"Comme un œil de chat", cravate et chemise blanche, il
se promenait, paradait sur le quai Gambetta, droit comme un "I"
le regard fier avec au bras son épouse bien mise bien faite,
pas peu fière d'avoir un si bel homme comme mari.
La représentation durait pendant tout le séjour du navire
à quai et au départ pour la mer du navire, embrassades
éplorées et grands signes avec mouchoirs au bout de la
jetée.
Le "Grand Capitaine" avait tous ses brevets mais en fait était
embarqué comme maître d'équipage et partageait une
cabine avec le lieutenant gendre du commandant du navire.
Les premiers jours, la vie à bord se passait sans faits notoires,
travail à bord, ramendage , repas, prises de quart. En bref le
train-train d'un navire se rendant sur les lieux de pêche.
SAINT ROCH ET SON CHIEN …….
Connaissez-vous l'histoire de saint Roch et de son chien, l'un comme
l'autre selon la légende sont indissociables.
On ne pouvait pas voir Louis sans le grand ' captain et celui-ci sans
Louis dans son sillage.
Toujours ensemble pour la prise des repas, toujours l'un avec l'autre
au travail sur le pont, toujours à l'affût en train d'épier
pour l'un ce que l'autre était en train de faire et conversaient
tous deux d'on ne sait quoi durant des heures…..
N'allez pas imaginer de perversité dans cette relation, c'était
simplement une amitié, disons quelque peu particulière
une certaine complicité.
Ce n'était pas de pain comme dans la légende de saint
Roch qu'il s'agissait.
Les rations de boisson étaient distribuées tous les trois
jours, c'est à dire un litre de vin ou de bière par vingt
quatre heures et par personne.
Mais, bien souvent le troisième jour notre "grand ' captain"
était à sec car il semblait être un fervent adepte
du proverbe" Plein je te vide, vide je te plains".
Il avait dans ces jours de misère physiologique et psychologique
un air de cocker à qui on vient de voler son os, le regard avait
perdu sa fierté, et l'entrain n'était plus au rendez-vous.
Louis par contre, petit, sec et noueux comme un sarment de vigne, le
cheveu rare, les lèvres minces un mégot toujours fiché
sur la lippe, le regard fureteur et incisif semblait amusé de
voir son collègue si dépressif.
Le matin du troisième jour, pendant le travail sur le pont, le
"grand captain" s'éclipsait du pont de travail assez
fréquemment; Louis le regardait revenir quelque temps après
l'air goguenard et lui disait
" Hé ben dis donc té en train ed' tresser des cordages
min fiu? ".
Celui-ci haussait les épaules d'un air résigné
et reprenait le travail.
Arrivait l'heure du repas de midi confectionné par un artiste
du genre, le cuisinier surnommé "Peau bleue" de mémoire,
jamais je n'ai vu quelqu'un de tatoué comme lui, des pieds à
la tête et paraît-il rien n'avait été omis.
L'équipage va donc se restaurer, ensuite à la reprise
du travail notre Fernand arrive sur le pont arborant un superbe œil
au beurre noir, l'air encore plus triste que ce matin, et suivi de son
inséparable Louis qui lui dit devant tout le monde " El
prochaine fois j'te f'rai les deux yus, comme ça t'auras pont
ed leunette ed soleil a accater" .
Régulièrement au moins une fois par marée, notre
grand Fernand était ainsi décoré d'une belle cocarde
qui lui durait jusqu'à la fin du voyage.
Le patron du navire, savait de quoi il retournait et me mis dans la
confidence.
" Toutes les marées, Fernand boit sa ration de vin en deux
jours, le troisième jour, il n'a plus rien à boire Louis
laisse sa boisson dans son casier bien en vue avec un verre à
coté, le fait-il exprès? Je ne sais pas, mais la tentation
est trop forte pour Fernand et, celui-ci ne peut pas s'empêcher
de taper dans la bouteille de son copain de chambrée.
Louis alors le gratifie à chaque fois d'un maître uppercut
qui hélas ne ramène pas Fernand dans le droit chemin.
Le même scénario a lieu chaque marée. J'ai essayé
plusieurs fois de raisonner Fernand, mais il m'a dit d'un air résigné
" Que voulez-vous que j'y fasse patron, c'est plus fort que moi
……"
J'ai alors demandé à Louis de ne plus laisser sa bouteille
en évidence, il m'a répondu qu'il n'avait pas de place
pour la ranger autre que dans ces casiers bien en vue de tout le monde.
J'ai l'impression que c'est une forme de jeux entre eux deux car l'un
laisse traîner sa bouteille tout en sachant que l'autre va taper
dedans et ensuite qu'il y aura une punition à la clef…"..
Fernand et Louis sont maintenant partis bien loin, et puissent saint
Roch et son chien leur permettre de boire "La part des anges".
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