Bonsoir,
Mon frère m’a bien dit :
Point un : faire court,
Point deux : ne dire du mal de personne
Point trois : ne pas oublier de remercier tout le monde.
Je commence par le point trois, c’est le plus
facile . Donc, merci à tous d’être là, merci
à tous nos sponsors et merci à Godefroy-de-Bouillon,
en la personne de monsieur Delaire, de nous accueillir à nouveau.
Pour le point un, faire court, j’y arrive,
doucement mais sûrement. En avant, lente.
La plus grande partie de ces chalutiers pêche
arrière ont quitté Boulogne. Ils avaient presque tous
été achetés « sur le neuf » , comme
on dit. Les patrons de pêche, chefs mécaniciens, chefs
d’armement et armateurs boulonnais ont souvent participé
activement à la conception et à la construction de ces
bateaux qui ont été dans l’ensemble des réussites
que les armateurs du monde entier nous enviaient. La preuve, ils nous
les ont presque tous rachetés.
A part évidemment ceux qui ont fait naufrage,
comme le « Ganymède » qui a fait le tour au large
du cap Lizard, au sud de l’Angleterre, sous les yeux de Pierre
Manière et de l’équipage du « Viking Bank
», ou le « Snekkar Artic », plus dans le nord, avec
de nombreuses pertes humaines.
A part aussi ceux qui sont partis en direct à
la ferraille : les « Notre Dame de Salut » , « Cap
des Palmes », « Viking Bank » ex « Frédéric
Daniel » et le « Cap Saint Anne », le monde entier
nous les enviant moins ces dernières années, ou à
la ferraille après incendie comme le « Mousse »
et
le « Moussaillon ».
Les autres ont connu des destins divers et variés.
En voici quelques exemples :
- Le « Wimereux », le plus long, qui
venait d’Allemagne où il s’appelait « Groenland
» a fini sa carrière justement au Groenland. Il a été
pêcher et congeler de la crevette et, les Groenlandais, peu
au fait de la culture boulonnaise, et au lieu de l’appeler Rose
Lacroix, l’ont appelé successivement :
FREDE SÖRENSEN
NANOK TRAWL avec un K
NANOQ TRAWL avec un Q , le peintre en lettres avait dû se tromper
TRAWL , tout court, le Sériès local devant être
en rupture de stock ou ayant eu un impayé avec l’armateur
Puis POLAR TRAWL
toujours basé au port du Groenland que vous connaissez tous
évidemment :
Holsteinsborg/Sismiut
Et a été démoli en 1995.
- « Le Matelot », lui, a changé
de sexe sans douleur et est devenu « Cecilia », du prénom
de la femme de l’armateur argentin qui l’a racheté
à Manesse & Sénéchal . Vous pouvez voir les
deux en photo, le bateau et l’épouse . Je n’ai
retrouvé que le bateau, dont la photo est là, épave
pillée dans le port de Mar del Plata, après la faillite
du mari de Cecilia. Puis un autre armateur l’a racheté,
et remis en état. Vous pouvez voir la résurrection de
« Cecilia ». Nous n’avons pas d’information
sur l’ état actuel de Cecilia , la femme de l’armateur.
- L’ « Emile Joseph », objectivement
le plus beau pêche arrière de Boulogne, ainsi nommé
car c’étaient les prénoms de deux respectables
armateurs, Emile Sénéchal et Joseph Manesse, a aussi
changé de sexe sans douleur et est devenu « Nelly »,
du prénom de la femme d’un associé de l’armateur
argentin et prénom très bien porté aussi à
Boulogne, notamment dans la presse quotidienne. Vous pouvez voir l’opération
en photos.
Par la suite, « Nelly » a reçu un coup violent
sur le derrière ( le bateau , pas la femme de l’associé
) qui lui a tordu le portique et lui a enfoncé la rampe, et
nous l’avons retrouvé échoué et pillé
au milieu d’un bassin du port de Buenos-Aires, juste avant sa
démolition. Vous pouvez aussi voir cette triste photo.
- Le « Vierge Marie » de l’armement
Bourgain, du Portel, a eu plus de chance. Il a été vendu
en Argentine également, rebaptisé « Virgen Maria
» et est toujours en très bon état, toujours vierge
bretonne à 33 ans, ce qui est rare de nos jours, vu qu’il
a été construit en 1971 à Saint-Malo. Vous pouvez
le visiter en photos, voir notamment son nouveau moteur, et même
voir son armateur à la barre. Il a une bonne tête, ce
qui est normal pour un armateur, et c’est un homme pieux qui
a enroulé son chapelet autour du périscope, comme vous
pouvez le voir.
- Vous verrez aussi que le « Shetland »
est maintenant argentin, s’appelle « Santa Barbara »,
est en très bon état apparent et toujours aussi beau.
L’armateur est sans doute un téléspectateur du
TF1 argentin et fanatique de feuilletons américains intellectuels.
Le bateau a eu de la chance : il aurait pu être re baptisé
« les Feux de l’Amour » , que regardait assidûment
ma grand-mère à l’époque,
ou « Dynasty » ou « K 2000 ».
- Vous verrez aussi que le « Sydero » s’est appelé
un moment « Santa Loana », non excusez moi c’est
« Santa Joana », et que le « Klondyke » n°1
s’appelle « El Marisco 2 », ce qui veut dire «
Le fruit de mer n°2 », d’après mon dictionnaire
franco-espagnol, et est toujours en bon état .
Je pourrais continuer et vous parler des autres 40 ou 50 pêche
arrière, mais nous serions encore là demain matin et
nous raterions la messe.
Aujourd'hui’, il en reste 11 ou 12 basés à Boulogne,
sur les 67 ayant fréquenté notre port.. C’est
comme çà, que çà nous plaise ou non.
Ce n’est pas gai, mais ce qui n’est
pas gai non plus, et même révoltant, c’est que
marins ont péri à bord de ces bateaux, malgré
tous les progrès réels en matière de sécurité.
Ils ont pris tous les risques, y compris celui de perdre leurs vies,
pour ramener le maximum de poisson, sans même savoir s’il
serait bien vendu et s’ils seraient ainsi correctement rémunérés.
Leur métier, votre métier, est toujours
le plus dur et le plus dangereux du monde et cette exposition, hommage
à tous les marins qui ont fait Boulogne, qui ont fait la richesse
de Boulogne depuis des siècles, est aussi un hommage encore
plus fort à tous les marins de Boulogne partis en mer pour
nourrir leurs familles, élever et éduquer leurs enfants,
et qui ne sont pas revenus.
Je pense aussi , et je suis sûr que je ne
suis pas le seul ici ce soir, à une petite fille qui avait
six ou sept ans quand son père, jeune patron de pêche,
s’est noyé en mars 1961 en mer du nord, à la jeune
grand mère qu’elle était devenue et qui s’est
noyée il y a deux mois.
Voilà.
Merci de m’avoir écouté.
